TOP 2004

<100-76>   <75-51>   <50-26>   <25-11>   <Top 10>

 

10 The Arcade Fire  Funeral                                                               merge                 
Un album et un groupe arrivé sans crier gare en septembre dernier, en provenance de Montréal, The Arcade Fire a fait l'effet d'une petite bombe en déboulant
avec
Funeral. En se penchant sur les crédits du disque on constate quelques noms familiers: Genevieve Heistek à l'alto (Madame Hangedup), Sophie Trudeau
au violon (A Silver Mt Zion, Molasses, Godspeed etc...) Howard Bilerman à la batterie et au son (a travaillé sur l'album de Ms Vajagic) ou Thierry Amar
(Godspeed You Black Emperor, Molasses, Black Ox Orkestar...). En bref du beau monde pour un disque à la mémoire des proches du couple
Win Butler/Régine Chassagne disparus pendant l'élaboration de l'album enregistré à l'Hotel2Tango, QG des prods Constellation. C'est l'émotion qui traverse
ce disque, mais sans complaisance, on évite soigneusement de sombrer, on cherche plus à évoquer le souvenir, la nostalgie. Sur un piano léger, aérien,
la voix pleine de tremolo de Butler pose le décor, celui d'un quartier, d'une communauté (le thème récurrent du disque, quatre morceaux portent le titrre de
Neighborhood), une ville recouverte par la neige, que quittent deux amoureux par des tunnels qu'ils creusent jusqu'à émerger au centre de la ville. Là ils
s'inventent un futur, des enfants, une sorte de paradis perdu, un eden: "And since there's no one else around, we let our hair grow long / and forget all we used
to know, then our skin gets thicker from living out in the snow." On pense aux amants du
Lagon Bleu (film de Randal Kleiser de 1980 ayant révélé Brooke
Shields, puis Mila Jovovitvh dans sa sequelle), aux héros de
Sa Majesté des mouches de William Golding.
La nostalgie, l'evocation de l'innocence est
touchante, la voix de Butler est déchirée toujours sur la brêche de la justesse, de la distortion, jusqu'à mettre en scène
nos deux héros face à une cruelle
question: que deviendront nos parents ? Le deuil en ligne de mire, la triste marche de la vie, sur des souvent tempo soutenus, voilà ce que propose
Funeral.
Neighborhood #2 évoque sur fond d'accordéon et de guitares tendues un quartier témoin des déchirements d'une famille, un frère qui veut se foutre en l'air.
Les références de l'enfance sont nombreuses au cours de l'album de façon indirecte ("If the children don't grow up, our bodies get bigger but our hearts get
torn up." dans
Wake Up) ou plus concrètes (Chassagne qui parle de son pays natal sur le coloré et non moins politique Haiti ) et insiste sur l'importance du
souvenir, de la nostalgie au centre des préoccupations de
Funeral. La mort plane toujours au dessus de nous et quand elle semble s'éloigner c'est pour
surprendre au tournant d'une phrase anodine ("The only thing that you keep changin' is your name, my love keeps growin' still the same, just like a cancer"
dans
Crown Of Love). Les mélodies sont enlevées, les morceaux presque dansants par moments (Haiti ou Rebellion) et pourtant les paroles restent toujours
ambiguëes: "People say that you'll die faster than without water" (
Rebellion). Régine Chassagne clôt le disque avec un délicat In The Backseat sur lequel
elle confesse avec sobriété : "My family tree's losing all it's leaves,crashing towards the driver's seat, the lightning bolt made enough heat to melt the street
beneath your feet" avant d'enchainer sur un refrain mêlant les accords de guitares et le violoncelle
: "Alice died in the night, I've been learning to drive.
My whole life, I've been learning". Cette impudeur salvatrice, cette catharsis qui s'évapore dans un final de batterie et de cordes, est partagée autant par la
chanteuse que par son auditoire.
Arcade Fire submerge comme une vague gigantesque, emmène tout sur son passage dans un flots d'émotions qui réconforte,
passe du baume au coeur. Un bien curieux remède.


09
Elizabeth Anka Vajagic
Stand With The Stillness Of This Day      constellation             
Elizabeth Anka Vajagic est arrivée sans crier garde en début d'année avec un album au lyrisme noir exacerbé. Habituée des cafés de Montréal, tout juste
accompagnée d'une guitare et de ses textes, on la retrouve ici en très bonne compagnie: Becky Foon (A Silver Mt Zion, Esmerine)
au violoncelle, l'eternelle
scie musicale de Flüffy Erskine (Molasses, Set Fire To Flames, hrsta), Efrim Menuck (Godspeed You! Black Emperor, A Silver Mt Zion) au piano,
harmonium et choeurs, ou encore l'oud de Sam Shalabi... que du beau monde. Emboitant le pas aux très bons albums de Frankie Sparo, eux aussi sortis
sur Constellation, Elizabeth place cependant sa voix bien plus au centre de ses chansons que le canadien. Son interprétation est fait d'emphases qui
pourraient par moments lui donner des allures de cabaret, presque goth dans le ton, la placant à l'
improbable croisée des chemins entre Siouxie Sioux,
Lisa Germano, Thalia Zedek et Patti Smith. Bien sûr cette voix pourra en gêner certains, mais à ceux qui auront su prendre le temps de l'écouter, Elizabeth
donnera des frissons. Comment ne pas réagir ainsi à l'écoute du refrain desespéré de
With Hopes Lost, appuyé par la voix meurtrie d'Efrim, "Let it go now
before your hopes get lost / Let it go now 'fore I hate you more", lequel ajoute des touches de piano du meilleur effet (on pense un peu au piano de
Fountains
On Fire
sur le premier album d'Elysian Fields). Les chansons Around Here ou And The Sky Lay Still rappellent les belles atmosphères de l'album d'hrsta
(d'ailleurs Michael Moya, aka hrsta, accompagnait Ms Vajagic sur scène au printemps dernier): scie musicale, guitares (encore Efrim) jouées au tournevis,
grosses reverbs et bruits d'ambiance. Plus dépouillés
Iceland ou le superbe Sleep With Dried Up Tears qui referme l'album, mettent encore plus la
chanteuse en avant. " I sleep alone, I walk alone, I cry alone" chante Elizabeth sur ce chant du cygne , juste accompagnée d'une guitare acoustique et l'on
reste suspendu à chacun de ses mots tant ils transpirent la sincérité. Comme le disque ne dure pas plus de 40 minutes on n'a pas le temps de se lasser de
ce lourd pathos, en plus Vajagic évite d'en rajouter dans l'instrumentation quand les paroles sont déjà grave. Pour preuve le poignant
Where You Wonder
aux parfums de suicide "Saw your face when you killed yourself... you smashed your head, you killed yourself" dont la rythmique est plus enlevée,
l'atmosphère presque égayée par les notes d'harmonium d'Efrim... jusqu'au final bruitiste. L'un des rares passages de guitares distordues de l'album.

Stand With The Stillness Of This Day
révèle une artiste complète, au songwriting de qualité, transcendé par des arrangements singuliers et une
interprétation à fleur de peau. Magnifique tout simplement.

08 Sufjan Stevens Seven Swans                         rough trade                                        
Qu'importe que l'on soit croyant ou non, qu'importe la religion, le disque de Sufjan Stevens est un disque d'action de grâce, une célébration d'un seigneur qui
est compassion et amour (And I'm joining all my thoughts to you/And I'm preparing every part for you chante Sufjan sur
All The Trees Of The Field Will Clap
Their Hands
, morceau qui ouvre Seven Swans) . Gravitant autour de la Danielson Famile, (collectif de musiciens de Brooklyn qui ont eux aussi un gros
penchant pour l'inspiration religieuse) Sufjan n'en réfute pas moins le qualificatif de "christian singer" que certains veulent lui accoler. L'an dernier il se faisait
déjà remarquer avec son
Greetings From Michigan (premier d'une hypothétique collection d'albums célébrant les 50 états américains), disque alliant les
charmes pop aux côtés austères et dépouillés du folk. 2004 aura vu la réédition de son album
Enjoy Your Rabbit, sur lequel ce new-yorkais d'adoption
s'adonnait à l'electronique, histoire de tuer le temps et tester ses logiciels (!). Le disque évoquait tour à tour Eno
ou Stereolab. Revendiquant son amour pour
Neil Young et Nick Drake autant que l'inspiration venant de la musique contemporaine (grand amateur de Steve Reich) ou electronique ,Stevens a une histoire
qui est tout sauf banale. Du moins si l'on fait confiance à sa bio officielle... Trouvé emmailloté et posé dans une panière de laitier, sur le pas de la porte de
M et Mme Stevens, lesquels déjà parents de 3 enfants, décident de l'adopter alors qu'ils vivent à l'époque au sein d'une secte islamique menée par un
Indonésien. Le gourou lui donne le nom de Sufjan en hommage à Abu Sufjan Muhammad, un guerrier sufi d'Arménie qui aurait vaincu 10.000 dragons.
Au son de son banjo, tout juste accordé, et épaulé par la Famile aux choeurs et aux rythmes, Stevens parvient à évoquer la religion et l'amour christique
en prenant à contre-pied les dévots de base (à la Mel Gibson).
Là où violence et intensité dramatique semble être les seuls moyens de parler du Messie,
de son amour et de son sacrifice,
Seven Swans, parvient au même résultat en n'utilisant que la délicatesse du souffle de la voix de son interprète. De bout
en bout, qu'importe l'humeur du morceau, c'est la grâce qui semble éclairer cet album.
In The Devil's Territory, par exemple, sous ses aspects de légèreté,
cache une force immense dans ses paroles, prenant comme thème central le combat contre la Bête (certains y verront une évocation à demi-mots de l'enfance
abusée), au milieu des banjo, scie musicale et orgues, ressortent les voix de Sufjan, accompagné d'Elin er Megan Smith de la Famile:"Be still and know
your sign/The Beast will arrive in time/We stayed a long, long time... To see you/To beat you/To see you at last." L'évocation du calvaire sur le morceau suivant

To Be Alone With You est faite d'une manière si détachée et délicate qu'elle ne peut en être que plus touchante: "You gave Your body to the lonely/They took
your clothes/You gave up a wife and a family/You gave your ghost/ To be alone with me... /You went up on a tree". Et le sujet du morceau, hors contexte, n'est pas
si évident que ça.
A Good Man Is Hard To Find revient vers une thématique moins ouvertement religieuse et qui du coup fait encore plus ressortir la musique.
L'orgue et surtout l'extraordinaire ligne de guitare funambule du refrain en font l'une des meilleures compositions de
Seven Swans. L'album est parfaitement
équilibré, alternant les tempo et les atmosphères pour aller vers un final marquant, tout d'abord le morceau éponyme qui s'étire sur plus de 6 minutes. Sufjan est
tout d'abord seul au banjo, la voix fragile il évoque une vision dans le ciel, sept cygnes au milieu de la fumée, une voix dans sa tête qui lui dit "I'll try, I'll try, I'll try".
Sur ces mots débarquent un piano grave et solemnelle. Puis de nouveaux Stevens seul décrivant un dragon et des flammes, visions d'apocalypse qui débouchent
sur une nouvelle mélodie plus sombre et tendue. Le Dieu décrit dans ce morceau est un Dieu menaçant "He will take you/If you run/He will chase you/ cause He is
the Lord", accompagné de la batterie et de ses cymbales. Le morceau contraste avec les précédentes interprétations du disque, plus discrètes, moins graves.
Pour refermer sa profession de foi, Stevens reste au banjo pour un
Transfiguration habité, une célébration qui nuance avec le précédent morceau , car ici il est
nullement question de peur mais d' espoir:
"Lost in the cloud, a voice/Have no fear! We draw near!/Lost in the cloud, a sign/Son of Man! Turn Your ear!" Avec son
faux hautbois le morceau aurait pu être kitschissime mais pourtant Sufjan en fait une parfaite conclusion, une illustration fidèle des onze autres morceaux qui
composent
Seven Swans. Les voix s'entrelacent, toutes unies pour acclamer le sauveur.A la manière du Texas-Jerusalem Crossroads de Lift To Experience,
qu'importe les mots, qu'importe la foi, Stevens fait un beau pied de nez à l'Amérique chrétienne et bien pensante en proposant sa propre vision de la foi, simple
et surtout pas prosélytique. Dans son interprétation on sent un chanteur habité par ses textes et dont les mélodies et les constructions savent captiver l'auditeur,
et c'est tout ce qui compte au delà d'un quelconque message religieux. Il ne s'agit ici que d'amour pas de croisade.
Seven Swans est un album qui gagne à être
écouté et ré écouté. L'un des disques les plus attachants de l'année.

07 Growing  The Soul Of The Rainbow & The Harmony Of Light    kranky               
Le groupe ) de Seattle reprend les choses là ou il les avait laissées l'an dernier avec le très sous-estimé The Sky's Run Into The Sea sorti chez Kranky en
2003 . Le nouvel album est constitué de 4 plages instumentales de 15 minutes chacune en moyenne. Toujours des nappes infinies sur lesquels se posent
quelques guitares quelquefois agrémentées de divers "field recordings" (chants d'oiseaux, grondement des vagues).
Onement, titre d'ouverture respire la
quiétude,aboutissant à un crescendo de cymbales qui viennent se noyer dans les vagues. Growing prend le temps de planter le décor, chaque élément
se succédant l'un à l'autre le plus naturellement, sans que rien ne trouble l'harmonie de l'ensemble. C'est dans cette manière de gérer le temps, la durée des
pièces que le groupe se montre vraiment efficace, étirant sa musique au maximum, pour créer une sorte d'hypnose hors de la réalité, un véritable appel au replis
sur soi, une musique de l'âme capable de donner une place de choix aux silences (même si c'est un peu moins le cas que sur leur premier album).

Anaheim II tranche net avec l'ambiance du morceau d'ouverture en imposant une drone de sons distordus (sans atteindre le seuil de l'aggression que
franchissent plus facilement les Wolf Eyes ou Black Dice) on peut penser au long
Zerthis Was... sur le premier Eluvium. Il s'agit du morceau le plus monolithique
du disque. Peut-être aurait il été un peu différent si la collaboration avec les Chicagoans de Pelican (cousins d'Isis 100% instru, mêlant metal et post rock)
avait pu se faire... pour des raisons d'emploi du temps chargés, ces derniers n'ont pu apporter leur pierre à l'édifice... A suivre peut-être.
Epochal
Reminescence renoue avec les nappes du premier album avc guitare (basse) conduite par un ebow avec une de rares variations et des jeux sur
les panoramiques et un final qui laisse s'infiltrer des cordes malmenées et des guitares en delay. L'album se referme sur un champêtre
Primitive Associations,
on y entend un ruisseau, des oiseaux, tout juste troublés par quelques nappes de clavier et de guitares tout en crescendo. Le calme après deux morceaux un peu
plus bruyant (tout est relatif attention !!!). On pense à Brian Eno ou Harold Budd par moments, mais on devine d'autres acointances (un membre de Sunn o)))
officiant derrière la console; ou encore les ramifications avec le label Hydra Head) qui laissent penser que ce calme n'est peut être qu'une illusion...

06 Deathprod Morals & Dogma                               rune grammofon                             
Faute de pouvoir s'offrir le coffret Deathprod (contenant le nouvel album Morals & Dogma ainsi que la reedition de 3 oeuvres qui étaient épuisées), il est plus
que recommandable de se pencher sur la production du Norvégien Helge Sten disponible sur le label Rune Grammofon.
Morals & Dogma est un album noir,
que les spécialistes qualifieront de "dark ambient". Un disque qui vous glacera le sang, pour peine que vous l'écoutiez la nuit, seul(e), en étant de nature
angoissée. Regroupant quatre plages composées entre 1994 et 2000,
Morals & Dogma est annoncé comme le dernier album de Sten sous ce pseudo,
puisqu'il a décidé de se consacrer à son groupe , Supersilent (auteur d'un très bon
6 l'an dernier), dont certains membres contribuent au violon, harmonium
ou scie musicale. L'auditeur est rapidement plongée dans une ambiance de nappes de claviers posées sur des bruits industriels, comme des grondements
de tonnerre:
Tron et ses 11 minutes annoncent la couleur. La musique de Deathprod est un peu le versant calme de celle de Sunn o))) sur White2, à savoir
qu'elle donne cette impression de noirceur extrème à la fois dérangeante et apaisante.
The Dead People's Things est vraisemblablement le titre le plus glacial
et glauque entendu chez moi cette année. Sur fond de nappes très sourdes qui s'éteignent en legers bourdonnements, une mélopée de scie musicale (comme
un theremin) hante tel un spectre les 18 minutes de la pièce, bientôt rejointe par les crins crins d'un violon, grincements à peine mélodiques. Vous souvenez
vous des photos des morts dans le film d'Amenabar,
Les Autres ? Ces photos de gens tout endimanchés, pris le jour de leurs funérailles, le teint blême, les
traits raidis, les yeux mi clos, cette ambiance morbide des photos jaunies... voilà ce que m'évoque
Dead People's Things. Dans son horreur, sa douleur, dans
sa tristesse infinie, dans sa manière de mettre le temps entre parenthèses, ce morceau est tout juste magnifique.
Orgone Donor, qui lui emboite le pas, est la
piste la plus mélodique de l'album, une longue plage drone d'harmonium sur laquelle vient flirter un violon aux limites de la dissonance. On y distingue un peu
plus de lumière que sur les autres titres... du moins un pâle halo. C'est d'ailleurs le morceau le plus court de l'album, lequel se referme sur les vagues de sons
de
Cloudchamber. Comme un écho au Tron d'introduction, ce morceau final reprend les bruits ambient industriels parsemés de vagues de tonnerre qui vont et
viennent à des rythmes plus ou moins réguliers. On a l'impression de visiter les plages d'un océan extra-terrestre, un endroit familier qu'on serait
pourtant bien
incapable de nommer et encore moins de placer sur la carte de nos souvenirs.
Morals & Dogma est tout à la fois, par moment tellement pur, concret et évident,
pour devenir diffus, abscons et insaisissable l'instant suivant. Dans ses contradictions il n'en est que plus humain et un parfait mirroir des vibrations les plus
secrètes et peut-être les plus sombres de nos âmes.


05 The Eighties Matchbox B-Line Disaster The Royal Society           universal      
Comment faire aussi bien que Hörse Of The Dög paru l'an dernier qui parvenait en 25 minutes à remettre l'urgence et la violence au coeur du rock? Les
jeunes zombies de Brighton allaient ils pouvoir produire un album alliant le psychobilly du Birthday Party, ou même des Cramps, avec le punk des Ramones
et le hard rock de AC/DC ...? Non... et oui.
The Royal Society est tout sauf un Hörse Of The Dög II, au contraire il évite soigneusement la redite pour
s'attarder sur des compos moins immédiates, des arrangements plus fins. Guy McKnight plus habitué à hululer, grogner, ou hurler, chante ici de la plus belle
façon, d'ailleurs
Rise Of The Eagle qui ouvre l'album commence sur ces mots: "I wanna fly like an eagle / I wanna sing like Sinatra!" La rythmique syncopée,
les guitares acides sont
toujours là, mais apparraissent aussi des choeurs insolites, même des handclaps, qui apportent une dimension assez étrange à la
chanson, un côté décalé. Peut-être est-ce parce que
The Royal Society a été en partie enregistré dans le desert chez Josh Homme que l'on pense par
moments à son groupe, les Queens Of The Stone Age, dans la façon très pop d'arranger des chansons plutôt survitaminées. TEMBD avait déjà annoncé
la couleur avec
Mr Mental, premier single sorti en avril dernier, reprenant l'energie de Chicken mais plaçant son chanteur dans le rôle de prêcheur halluciné,
gardant sa rage à l'intérieur, mettant l'electriité des guitares de côté pour les faire encore mieux éclater sur un solo déglingué précédé encore une fois
d'étranges choeurs.
I Could Be An Angle continue dans la même veine, rythmique binaire, chant de crooner, choeurs rockabilly dans le fond. Jusque là on a
juste l'impression que les Eighties jouent leur rock de façon moins musclée, plus retenue, comme s'ils en gardaient sous le pied... Il faut attendre
When I
Hear You Call My Name
pour les voir sous un jour différent: lignes de guitares claires arachnéennes, voix toujours aussi posée, parfois méconnaisable, petit
clavier 60's à la ? & The Mysterians, avant de commencer à hurler, la tension éclate au grand jour. Schyzophrenie et solitude se renvoient la balle dans le
morceau: "When I'm talking to my brother / The one who lives there in the mirror / He's smiling back at me / Saying everything's ok".
Migraine Migrate
constitue la première chanson punky de l'album, on y retrouve les guitares de
Morning Has Broken, la voix est legerement saturée, la basse distordue. Le
refrain hypnotique emmêle les voix "I am the law / I am the breath you draw" puis sur le pont Guy revient dans son rôle de crooner mort-vivant. TEMBD sont
toujours quelque part entre le punk et le goth, charriant une image sombre, peut-être à cause de la voix et l'allure de McKnight... Ce n'est pas
Puppy Dog
Snails
qui va les débarasser de ce côté garage-batcave: sur un fond de comptine pour enfant, Guy prend une voix des plus graves (on pense même à
Rammstein sur les premières secondes !) et construit son étrange incantation, entre vaudou et sorcellerie. "What do we do with the puppy dogs tails? What
do we do with a bucket of snails? What do we do with a boy like you? We put them in a pot and we throw them on the fire". La tension est suggerée dans les
voix mais les instruments restent calmes, quelques passages sont soutenus par une guitare acoustique; un piano fantômatique reprend le thème principal, le
riff est joué à travers pas mal d'effets, lui donnant des résonnances tremblotantes, choeurs et passages sifflés finissent d'apporter une atmosphère de vieux
film d'horreur façon Hammer au morceau. Même impression sur la ligne de guitare qui joue dans le fond de
The Dancing Girl, véritable tube pop de l'album,
avec sa ligne de basse bien ronde, alors que
The Fool renoue avec l'electricité avec un riff particulièrement efficace, mais McKnight se garde bien d'hurler,
preferant laisser les inquiétants murmures ou les choeurs hantés qui composent son escorte, oeuvrer pour rendre l'atmosphère plus angoissante. Ambiance
qui perdure sur
I Rejection, avec son intro presque Marilyn Manson dans les guitares, la basse saturée, et les changements d'intonation de Guy. Dans le
fond on perçoit des bruits electriques, les remous d'un quelconque marécage, alors que la voix hurle "Give me your heart cuz I feel like the tin man" relayée
par les choeurs d'Andy Huxley qui répondent "Give me your heart, Give me your heart, man". Cette façon d'allier les thèmes féeriques (ici le
Magicien d'Oz,
les comptines sur
Puppy Dog Snails) avec les ambiances plus sombres, les climats oppressants et malsains, contribuent à dessiner ce halo autour du
groupe, cette trainée de souffre qui colle d'habitude aux bask d'un Nick Cave et de ses Bad Seeds. Sauf qu'ici il n'y a pas un poète habité accompagné de
ses musiciens, l'écriture des paroles étant divisée entre Tom Diamantopoulo à la batterie ou Andy Huxley et Mark Norris aux guitares.
The Royal Society
est un album qui révèle un jeune groupe en pleine possession de ses moyens, capable de grandir (ce qui déplaira vraisemblablement aux fans des débuts
qui seraient trop attachés à une musique plus séminale et directe), de maitriser, canaliser ses émotions pour construire des atmosphères encore plus
oppressantes. On n'aurait pas imaginé sur
Hörse Of The Dög un titre comme Drunk On The Blood, ballade venimeuse alliant guitare acoustique, rythmique
maligne et même une trompette
hallucinée, très Miles Davis, sur le break, célébrant la fin de l'innocence, la quête du retour à l'enfance "If only I could see the
way back to my youth / If only I could be back on the road to truth". Les paroles font même écho directement à ce nouvel album, disque de la maturité qui
expose un groupe contraint à avancer pour ne pas se répéter - et qui le fait de la meilleure façon - mais qui se permet déjà de regretter la quasi naiveté de son
premier album. Et quand TEMBD revient vers les vocalises Brian Johnson-iennes de
Fishfingers sur Freud's Black Muck, c'est pour les étouffer le plus
rapidement possible, les noyer dans un refrain moite, avec une guitare aigrelette, sinueuse, qui rampe derrière la grosse rythmique sur laquelle Guy prend des
inflexions grotesques et graves à la fois, créant un malaise délicieux (on pense à la scène de
Phantom Of Paradise dans laquelle l'icône hard glam Beef
entône son chant survolté avant de se prendre une décharge de 220 v dans la poitrine!). Voilà l'illustration même de l'art du groupe, cette façon singulière
d'illustrer le chaos en provocant un malaise : le solo de la chanson est tout simplement terrible, fuzzy à souhait, hypnotique, pendant que quelque sorcier
psalmodie dans le fond des mots sans formes, et qu'un piano poussiéreux écrase ses accords dissonants. La chanson annonce un final d'album des plus
déjantés, enchainant sur
Temple Music et ses faux airs 60's, Guy méconnaissable, léger sur les couplets avant de revenir vers les graves inquiétants sur
les refrains "And now I've ripped out your heart dear I've gotta throw it away / And now I've ripped out your heart dear before the break of day/ (...) Butterflies
in my stomach, They try to flutter away". Les arrangements sont des plus malins, encore les choeurs qui viennent assombrir le tableau qu'un improbable
carillon tente vainement d'alléger. Encore une fois il faut souligner le travail sur les guitares (véritable réussite/révélation de l'album en comparaison au côté un
peu brouillon de
Hörse Of The Dög), d'un côté la rythmique acoustique, de l'autre les riffs acrobates d'une fuzz aux bends qui flirtent avec le vide... La fin du
morceau est un pur instant jubilatoire, avec la voix de Guy qui d'un côté chante innocemment le premier couplet alors que derrierre il hurle "Wild Bull!!!!!" (?)
d'une voix de possédé... Cette trilogie s'achève avec un décousu
The Way Of The Men Of The Stuff, qui altene passages calmes et furie electrique et
saturée, véritable chant de combat, hymne de vikings ou de pirates: "A ship to sail across the sea / In hope we see our day of release / We see again and
you are we / Raise your flags and cheer with me" pour vomir litteralement son refrain "Now is the time to rise up and sing, why change the world that's eating
away / Scrutinate if you wanna talk / Let's fight(uck) /We play the hardest, we play the best /I stand the guns, no hole in my chest /No retreat, no
surrender /WAR!!!" Les passages criés sont encore plus agressifs que sur le premier album comme si la rage contenue et suggerée tout du long de

The Royal Society
éclater d'un seul coup. Les guitares sont indomptables, s'éparpillant dans toutes les directions, alors qu'une espèce d'orgue farfisa
(à moins que ce soit un mélodica trafiqué?) tente de calmer les ardeurs de la horde, en vain la rythmique restant trop tribale pour espèrer une redition.
The
Royal Society
finit dans le chaos le plus complet et laisse l'auditeur complètement hagard, incrédule, incapable de comprendre ce qu'il vient vraiment de
se passer pendant 45 minutes (et oui 20 minutes de plus que
Hörse Of The Dög !!!!). Dans ses arrangements, dans sa construction, sa manière d'imposer
une ambiance, il est un album unique, peut-être le seul véritable album de rock racé de l'année, furieux, inquiétant, sulfureux et grotesque à la fois... comme
devraient l'être les grands disques de rock'n'roll: tout simplement urgents.

04 CocoRosie  La Maison de mon rêve                                  touch&go                      
S'il y a un disque à retenir cette année, pour l'effet de surprise qu'il procure, c'est bien celui-ci. Pourtant sur le papier La Maison de mon rêve ne partait pas
gagnant ! Un titre en français, un nom de groupe, sorti de nulle part, qui fait sourire, et une pochette bizarre... drôle de mélange qui ne convainc même pas à
la première écoute. Il faut parvenir à rentrer dans cet univers si particulier, mais à en croire les réactions glânées autour de moi soit on deteste soit on
adore... Pas de demi mesure pour les deux new-yorkaises, Bianca Cassidy et sa grande soeur Sierra alias Coco et Rosie. Enregistré dans un petit appartement
du XVIIIème parisien entre la cuisine et la salle de bains avec des instruments de bric et de broc,
l'album pousse le concept lo fi à son niveau maximal. Les
micros soufflent, les cordes grincent et les bruits ambiants deviennent partie intégrante de la musique. Sur des airs innocents, parfois de fausses comptines,
les soeurs marient leurs voix, Sierra avec son registre lyrique, Bianca lorgnant vers le jazz de Billie Holiday, chacune apportant sa singularité à des paroles qui
tranchent avec la musique par leur ironie ou leur gravité. Sierra s'occupe de la guitare, du clavier ou de la harpe, alors que sa petite soeurs à la moue boudeuse,
minaude en habillant les morceaux de bruits étranges provenant de jouets d'enfants ou de rythmes pré-programmés sur des claviers de débutants. Dès
Terrible
Angels
, qui ouvre l'album, on est saisi par l'immersion profonde dans cet univers, ce côté bricolo ultime, ces voix et ces paroles qui en disent plus que ce
qu'elles veulent bien laisser croire. Hymne à la complexité féminine et à la fascination quelquefois destructrice qu'elle peut exercer sur la gent masculine,
le morceau pose la simple question: "If every angel's terrible / Then why do you welcome them ?". Toujours dans la même thématique
By Your Side présente
une femme amoureuse, soumise :"I'll always be by your side even when you're down and out / I just wanted to be your housewife / I'll iron your clothes I'll shine
your shoes / I'll make your bed and cook your food / I'll never cheat /I'll be the best girl you'll ever meet ". Mais bien sûr tout celà a une contrepartie:
"And for a diamond ring I'll do these kinds of things"... Musicalement on tourne autour de trois accords, sur des instruments qui jouent à peine juste, les
mixes sont des plus basiques: une voix à droite, l'autre à gauche, le reste au centre... Le son de l'album renvoit automatiquement au titre tant l'environnement
joue ici un rôle-clé: on entend la pluie battre le carreau (sur
Tahiti Rain Song), un sac de pièces jouer le rôle de tambourin (Jesus Loves Me ou Butterscotch),
ou les reverberations des voix changer en fonction de la pièce où a été enregistré le morceau. Voilà une maison aux charmes mulltiples dont les parfums
rappellent le folk du balladin Devendra Banhart (petit ami de Bianca) dont les accents seraient plus mélancoliques, les morceaux plus décalés, comblant le
manque de technique par des arrangements bricolés avec des bouts de ficelles. Tout ceci contribue à s'attacher à cette parenthèse sonore, à peine assez
longue pour lasser lors des passages à vide (le très monotone
Haitian Love Songs). Les voix insufflent la part de vie aux textes, changeantes, traffiquées,
plus ou moins en avant, elles sont les moteurs de l'album, la manifestation concrète de l'interaction entre Sierra et Bianca. Sur
Jesus Loves Me la plus jeune
mélange les influences gospel,
blues des années 30 avec les chants des plantations. Le choix du thème (la Chute, la lecture "particulière" de la Bible dans
certains états du Sud des USA) en font un objet intrigant, plein d'ironie et de cynisme. Sur
Candyland, Sierra donne dans le lyrique alors que sur Good Friday
elle apparait plus retenue tandis que Bianca parle plus qu'elle ne chante. D'autres fois les deux voix se marient à merveille, se rapprochent l'une de l'autre pour
encore plus d'impact (le poignant
Lyla, qui évoque une prostituée des Boulevards des Maréchaux parisiens). D'ailleurs c'est cet échange, cette complicité entre
la souriante Sierra et la chipie boudeuse Bianca qui donne toute sa dimension au duo sur scène. L'expèrience d'un concert de CocoRosie ajoute encore aux
charmes du disque, tant l'univers singulier, la poésie, semble naitre sous nos yeux. Dans la simplicité, en jouant sur le souvenir (le coffre à jouets de notre
enfance) et sur la sincérité, CocoRosie remporte le pari fou de mettre la critique et une partie du public à ses genoux. Les soeurs Cassidy réussissent là où
Björk et son infâme
Medulla ne font que dans l'illusion pour bobos: revenir à une musique brute, une production minimale qui laisserait chaque souffle de
voix à sa place, chaque note sonner naturellement, en étant un pur concentré d'émotion et de chaleur... On attend la suite prévu pour ce printemps (et
enregistrée chez maman en Camargue!) avec impatience.

03 Animal Collective Sung Tongs                        fatcat                                                  
En 2003 on avait déjà croisé leur nom dans pas mal de bilan de fin d'année suite à la parution d'un intrigant Here Comes The Indian sur leur label Paw
Tracks. Animal Collective, groupe à géométrie variable gravitant autour du noyeau Avey Tare et Panda Bear, présentait une musique absconse faite
d'éléments acoustiques et électroniques qui allaient et venaient au milieu de cris d'enfants. Dans son approche experimentale le disque rappellait les travaux
d'autres new-yorkais, Black Dice, mais dans une version plus folk organique et psychédélique. Difficile à appréhender,
Here Comes the Indian offrait de
multiples portes d'entrée à l'auditeur à condition qu'il ait la patience (et l'envie) de les localiser au milieu de ce bric à brac. Attiré par le phénomène les anglais
du label Fat Cat, toujours avides de signer des musiciens hors normes, profitèrent de leur contact auprès d'Avey Tare (auteur d'un split single de belle facture
avec David Grubbs de Gastr del Sol) pour proposer au groupe de sortir leur nouvel album, et dans la fouler de ré éditer les deux premières production du
groupe :
Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished (disque essentiellement composé par Avey Tare) et Danse Manatée. La sortie de ces deux disques
en version double cd fut une riche idée, on y découvre Animal Collective sous un autre jour, jouant une espèce de pop psyché complètement décalée et pas
avare d'expérimentations ou bien évoluant au milieu d'une electronique plus abstraite, situant le groupe à mi chemin entre Mercury Rev et encore une fois
Black Dice. Du coup le fossé semble moins grand entre
Here Comes The Indian et ce Sung Tongs arrivé sur nos platines au tout début de l'été. Voilà un
album raffraichissant, léger comme une brise, décalé et attachant. Dans la lignée de Campfire Songs, un projet parallèle du groupe, dont le nom est assez
explicite pour comprendre la teneur de leur unique album, mais avec des titres réèllement accrocheurs, Animal Collective parvient à remettre à sa sauce les
harmonies des Beach Boys et le folklore pastoral de
Kumbayah. Leafhouse plante bien le décor, guitares acoustiques et percussions, pour soutenir les délires
vocaux de Panda Bear et Avey Tare, que la production souligne au maximum par des effets de panoramique tournoyants, paroles presque incompréhensibles,
on a souvent l'impression sur certains passages d'avoir affaire à quelque chant chamanique, ou à un rituel tribal. Animal Collective expose sa vision de la pop
en pondant un single imparrable :
Who Could Win A Rabbit ?. Rythmique improbable (difficile d'identifier sur quoi on tape),guitares acoustiques percussives,
changement d'accords rapide pour faire encore plus tourner la tête de l'auditeur, refrain de " doo doo doo li doo doo " complètement hallucinés soutenus par
d'
étranges claquements: en moins de deux minutes le groupe parvient à mettre KO avec un tube qui pourtant aura tout le mal du monde à passer en radio.
Il ne faut pas se leurrer, par la suite aucune chanson ne parvient à un tel degré d'energie, un tel défoulement jubilatoire. Néanmoins
Sung Tongs continue sa
balade dans un univers ensoleillé et foutraque.
Dans les moments les plus "cadrés" on pense au Beta Band des débuts, dans une version champetre, coupée
du monde, dans sa propre réalité, loin des tumultes du NME, réinventant sa pop music, son language.
On alterne les coupures rythmiques (The Softest Voice)
et les débauches vocales (l'excellente
Winter's Love dont les voix fusent de partout, sur plusieurs registres, mêlant mots articulés et onomatopés, ou dans un
style moins enchanteur le court
Sweet Road) morceaux minimaux (les 12 secondes de College - clin d'oeil à peine déguisé à la fratrie Wilson) et longues
digressions experimentales sous influences (
Visiting Friends, 12 minutes d'errances autour de deux accords et de bruits parasites, voix, souffles, field
recordings, ou le final, plus court,
Whaddit I Done). Sur We Tigers on retrouve la rythmique monotone, le foisonnement vocal (Beta Band et cLOUDDEAD qui
divagueraient ensemble d'un écouteur à l'autre), la folie douce, une espèce de croisement entre un rituel amérindien et
Heroes & Villains complètement
débarrassé de ces arrangements, de sa personnalité 60's, qui n'aurait gardé qu'une émotion primal, une explosion de mélodie. Voilà ce qu''est
Sung Tongs,
un rugissement, une explosion, un retour aux instincts, comme si chaque harmonie vocale inarticulée d'Avey Tare et Panda Bear était le médium ultime de
la communication, l'expression la plus concrète de l'émotion humaine. Viscéral et jouissif.

 


02 Isis Panopticon                                                   ipecac                                               
Oceanic avait créé la sensation il y a deux ans en mettant les Bostoniens d'Isis sur le devant de la scène, dans le sillage métallique de Neurosis ou de l'expe-
rimentation de Godflesh. Parvenant à fédérer les amateurs de metal guttural et les fans de post-rock instrumental et alambiqué, le disque jouait à fond sur les
ambiances et les climats tendus. Après une telle pièce le groupe d'Aaron Turner (boss d'Hydrahead Records et membre de multiples projets parallèles, dont
Old Man Gloom et Lotus Eaters) était attendu au tournant, chacun étant impatient de voir dans quelle direction pencherait la balance sur ce nouvel album,
les voix façon screamo ou les longues plages instrumentales...
Panopticon démarre comme une bombe avec So Did We "Our skin worn thin, our bones
exposed, our life reduced to ticks" grogne Turner sur de lourdes distortions, mais la tempête se calme pour laisser les atmosphères délayées prendre le relai,
plus inquiètantes car sur la brêche, toujours prêtes à exploser.
Backlit confirme le virage instrumental, longue intro, climats éthérés, lorsque le chant
débarque, la voix est différente, plus "naturelle", les mots plus clairs, plus touchante aussi car on la sent prêt de la rupture sur la fin des mots, comme s'il en
coûtait plus à Turner de chanter que de hurler ! Dans leurs structures, les morceaux d'Isis sont plutôt sages, couplets-refrains, avec une approche mélodique
certaine. Les guitares sont toujours nuancées, derrière la couche de distortion on devine des lignes plus aériennes qui font écho au chant, la basse est
toujours mixée au plus juste, pour ne pas tout envahir mais soutenir ce qu'il faut le jeu de batterie de Aaron Harris. Les voix sont noyées dans la masse et
lorsqu'elles parviennent à émerger elles viennent renforcer le sentiment de claustrophobie et de paranoia que suggère le titre de l'album (le
Panopticon étant l
le projet de prison avec un mirador central pour qu'un garde puisse observer, surveiller un maximum de détenu en même temps. Sur
Backlit on discerne:
"Can't you see who's always there? Always there Can't you see me when I'm watching? They are watching". Les nappes de clavier sont encore plus présentes
que sur le précédent album, créant un tapis de son sur lequel tout repose. Sur
In Fiction ou Wills Dissolve elles sont l'épine dorsale du morceau, lui conferrant
ce climat étouffant qui précède l'arrivée des voix. Les riffs de guitares alternent entre confusion et clarté, procurant une impression de malaise, d'instabilité
qui place l'auditeur dans la peau du détenu épié.
On pense aux pères spirituels, Neurosis, mais aussi à des groupes moins proches, à certaines rythmiques ou
riffs de Slint, ou Mogwai (l'extraordinaire instrumental de 10 minutes
Altered Course dont le final planant rappelle les meilleurs heures de groupe écossais).
D'une manière plus aérienne, plus lumineuse, moins systématique et monochrome que Cult Of Luna, moins cloisoné qu'Old Man Gloom (qui a trop tendance à
alterner parenthèse ambiant et morceaux courts presque grindcore), Isis développe un style tout au long de ce
Panopticon qui va
vraisemblablement diviser...
Les vieux fans, orienté hardcore ou metal regretteront le chant et la lourdeur des disques passés et surtout l'arrivée de nouveaux fans amateurs d'une musique
moins extrême. Mais pour ceux qui accepteront ce virage il y a de multiples trésors aux fonds des océans sonores d'Isis. Des heures d'observation:
Panopticon
est un panorama sonore, un accès immédiat aux différentes facettes d'Isis.

01 Xiu Xiu Fabulous Muscles      5rc records                                                                             
Même si Xiu Xiu a cette année sorti un album presque accessible, il restera dans l'ombre de beaucoup d'autres disques de groupes fades à la prétention
affichée de " sauveurs de la pop ", de " resurrection du rock " (même pas la peine de citer de noms). Il appartient alors à ceux qui ont le privilège de connaître
"ces disques de l'ombre " d'essayer d'en faire profiter le plus grand nombre. Et ce n'est pas la plus mince affaire non plus ! Avec son nom à peine prononçable,
et sa musique indefinissable, Xiu Xiu ne part pas favori ! Combien de fois depuis le début de l'année ai-je entendu dans mon entourage le sempiternel :
" Xiu Xiu ? C'est quoi comme style de musique ? " J'y ai beaucoup réfléchi et je ne sais toujours pas y répondre… Au pire, j'avertirais l'oreille innocente qu'il
s'agit là d'un groupe exigeant, qui ne caresse pas l'auditeur dans le sens du poil. Si vous n'êtes pas assez patients pour laisser le temps à la musique de trouver
son chemin jusqu'à votre cœur, autant tout de suite rallumer la télévision et passer sur la Star Ac'…
Moi même comment me suis-je retrouvé là ? Fin 2002, le nom exotique du groupe revient très souvent sur différents sites que j'aime cotoyer et me pousse
à aller chercher à droite à gauche ce qu'on peut en écouter. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre n'ayant jamais eu l'occasion de voir le film de Joan Chen du
même nom, ayant tout juste cru comprendre qu'il ne s'agit pas d'une comédie, rien de très gai… Je tombe alors sur une copie promo de A Promise, album à
paraître quelques semaines plus tard. C'est pendant l'une de ces sordides vaisselles interminables du jeudi après-midi que je fais la connaissance de Xiu Xiu.
Impression mitigée. Je me souviens surtout du choc : cette ouverture sur Sad Pony Guerillera Girl, illustration parfaite de l'art de Xiu Xiu, la chanson commence
avec quelques notes de guitares puis le chant… Quelque part entre Robert Smith et Mark Hollis, emprunté et mélancolique… Le personnage incarné par
Jamie Stewart
, tête pensante de Xiu Xiu, est en souffrance, les inflexions de sa voix en sont la preuve concrète, Des éléments electroniques apparaissent,
puis des piano-jouets criards, illustration de cette violence externe qui agresse cette " sad girl " (titre original du morceau à l'époque de Ten In The Swear Jar le
groupe précédent de Jamie entre rock, ska, et noise). Puis un refrain terrible, une suite de mots qui s'impriment dans l'inconscient, un tatouage sonore.
"I like my neighborhood, I like my gun, Drivin in my little car, I am your girl and I will protect you."
 A l'image de la suite du disque, le morceau pue le suicide et la noirceur de l'âme. Tout semble torturé, à en devenir caricatural dans les hurlements ou les poses
maniérées de la voix de Stewart. Mais au lieu de susciter un dégoût ou un ras-le-bol, on se trouve irresistiblement attiré vers le personnage qui en devient encore
plus touchant.  Me voilà donc les mains dans le bac à vaisselle, en suspens, en pleine hallucination devant une telle perfection (du moins à mes yeux !) dans la
manière de matérialiser la douleur en musique et en paroles. Et voilà que ce petit con de Jamie sabote tout…! Au début du second couplet, voilà que ce qui est
pour moi la forme la plus aboutie de plan de sauvetage de la pop-song, une utopie dans laquelle experimentation et melodie dans un format court feraient bon
ménage (une formule d'alchemiste souvent approchée par Björk, jusqu'à ce qu'elle aille faire la maligne chez Von Trier…), bref, cet espoir né au dessus de
l'évier s'écroule après 2 petites minutes… Jamie Stewart passe la bande à l'envers et part dans la cacophonie… Avant de nous resservir ce refrain killer en bout
de course. Le reste je ne m'en souviens plus. Je ne me suis pas arrêté sur la reprise de Tracy Chapman (Fast Car) sur le tonitruant Blacks, ou l'auto destructeur
Ian Curtis's Wishlist… Non j'ai continué bêtement ma vaisselle, en laissant tourner le disque, plus jamais stoppé au beau milieu de mon vide de sens à contempler
le siphon… Non… je pense que je restais traumatisé. Comment ce mec pouvait il tuer un pareil morceau, mort dans l'œuf d'une certaine façon.
Il m'a fallu presque 1 an pour m'en remettre… Entre temps j'ai écouté distraitement le Fag Patrol EP, disque acoustique resultant d'une tournée pendant laquelle
le groupe s'était fait dérober tout son matériel, et dont la plupart des dates avaient donc pris une tournure nettement moins " bruyante ". Et puis est arrivé dans ma
vie Fabulous Muscles et à quelques jours d'intervalle, Knife Play, premier fait d'armes de Jamie et co. La découverte de ce premier album me laisse penser que
l'on tient là le véritable album référence de Xiu Xiu, séminal dans ses paroles, dans ses arrangements, mélangeant tellement d'influences (jusqu'aux gamelan,
percusssions traditionnelles d'Indonésie). Un grand cri de révolte habité. Mais peut-être pas la meilleure introduction au groupe.
Second choc. Tout est devenu clair à mes yeux. Peut-être soudainement éclairé par mes experiences personnelles de l'année écoulée, mes rencontres musicales,
qui font que je suis devenu plus receptif à certaines formes de musiques exigeantes (comprendre "musiques qualifiées de chiantes par la plupart des gens parce
qu'il ne s'y passe pas grand chose ou bien trop bruitistes
"…). Et avant de découvrir ce nouvel album, je ressens une dernière appréhension, la peur d'être déçu, la peur
de me dire "Xiu Xiu c'est vraiment pas mon truc " ??? Les doutes volent en éclat à l'écoute du premier titre…
Encore une fois, à l'image de Sad Pony Guerilla Girl sur le précedent album, le titre d'ouverture, Crank Heart, annonce la couleur du disque. Début façon jeu video
Sega Mastersystem, comme une grosse blague (Telling your son a joke… he doesn't think it's funny) avant de partir pour de vrai… La voix est toujours teintée d'une
legère distortion, les sons de claviers semblent arriver de partout autour, dissonants, noyant souvent le reste… Mais si tout cela revêt un aspect austère, à l'image
du reste des compos de A Promise, la trame pop est bien plus facile à identifier, et l'on s'y raccrochera aisément. Les règles élémentaires couplets/refrain/couplets
sont même presque respectées !Pour autant l'angoissante personnalité de Jamie n'a pas changé, elle s'est juste déguisée en chanson pop pour encore mieux infecter
l'esprit de l'auditeur et le leader de Xiu Xiu n'est pas en reste pour hurler dans le micro sur I Luv The Valley OH !
Terriblement malin dans sa manière d'orchestrer ses morceaux, Stewart parvient à faire disparaître la trame classique de ses chansons, souvent composées
seul à la guitare (comme en attestent les concerts donnés seuls après la perte de leur matériel), derrière quantité de fausses pistes. I Luv The Valley OH!
justement, qui pourrait dire si l'épine dorsale de ce morceau est sa ligne de basse, son riff de guitare discret, mais bien présent, ou bien les éléments rythmiques
qui semblent venir de nulle part et apparaître au gré des humeurs de l'auteur ? Rien ne semble trop se détacher, et pourtant l'écoute attentive permet de déceler
beaucoup d'éléments saugrenus qui participent activement aux charmes et à l'efficacité de la chanson. On navigue en eaux troubles, et pourtant tout est clair : je
n'avais rien vu un an auparavant mais Jamie Stewart déconstruit la pop. Il la dissèque. Et sous son scalpel, à la lumière de sa folie, de ses humeurs noires,
tout prend un sens. Bien sûr quelques chansons sont moins évidentes, à l'image de Little Panda Mc Elroy, ou Support Our Troops, mais elles n'en deviennent
que plus intrigantes et passionnantes. Les mots murmurés, soudainement parlés, hurlés, sont autant d'armes à la disposition du groupe pour percer ce cocon
opaque qui semblait emprisoner la beauté immaculée de ses compositions, passées comme présentes. Cette dernière chanson a le mérite de ne pas tomber
dans la dénonciation du conflit américano-irakien en adoptant une forme trop évidente. Ici on est assez loin des faciles "non la guerre c'est pas beau" mais on
privilégie le côté traumatisant des combats sur les deux camps, présentant un soldat épouvanté devant le corps de la petite fille qu'il vient d'abattre. Dommage
collatéral. Les détails sont crûs et c'est le seul passage de l'album qui sombre dans la cacophonie. "Did you know you were going to shoot off the top of a four
year old girl's head and look across her car seat down into her skull and see into her throat?"
N'hésitant pas à qualifier les combattants américains de "jocks"
(crétin, tas de muscles sans cervelle) "too unmotivated to do anything else but still be the biggest" et se permettant même un "why should I care if you get
killed?"
Bien sûr, on ne tient pas là le disque qui mettra l'ambiance lors d'une fête de famille ou d'un repas entre amis… Mais juste un putain de bon disque qui
parle à l'intellect, fait appel à l'émotion et au vécu de chacun. Obscène dans sa manière de montrer un homme à nu, les tripes sur la table, là, devant nous.
Parfaitement illustré dans sa déclaration d'amour, love song de l'année, chanson éponyme, ce sentiment d'exposition impudique en gênera certains… D'autres
seront choqués par le caractère homosexuel, tout juste latent, de la plupart des chansons de Jamie Stewart ("Fabulous muscles… cremate me after you cum on
my lips…honey boy place my ashes in a vase beneath your work-out bench"
) et alors ? L'écriture comme un exutoire, une manière de crier haut et fort que l'on
existe. En guise de conclusion, Jamie sert un redoutable Mike dans lequel il aborde le suicide de son père. Sur un fond musical angoissant et sombre Stewart
termine d'une voix pleine d'émotion "I love you and will always miss you.. pull my finger" Bien plus que l'auto-destruction, pathos omniprésent dans la musique et
les textes du groupe, c'est bien dans cette dernière phrase qu'il faut chercher le véritable sens de Xiu Xiu et y voir une parfaite métaphore de la deconstruction.
A la manière dont il avait brisé Sad Pony Guerilla Girl, Jamie finit l'album sur un pied de nez au niveau textuel cette fois ci. Une manière de dédramatiser la
musique du groupe et de finir le disque en bouclant la boucle : la blague initiale de Crank Heart vient faire echo à cette blague de potache par excellence, l'ultime
référence pipi caca (digne de Beavis…) qui vient tout foutre par terre. Comme les bulles qui remontent à la surface du bain, le choc de ce décalage dans le langage
permet de sortir de l'introspection commencée juste après l'intro de Crank Heart ("Lighting it up !"). Fabulous Muscles est en cela un disque important, une main
tendue vers le grand nombre, une brèche spatio-temporelle où chacun aura le loisir de s'engouffrer et de trouver ce qu'il veut. Mais c'est aussi définitivement la
consécration d'un songwriter au talent immense tant au niveau de l'écriture que de la composition, une âme rare et decharnée qui peut prendre tout le monde à
revers, n'hésitant pas à faire de l'auto dérision (en témoigne l'excellente pochette originale du disque) pour être encore plus percutant …